BEAU

  La vie compliquée de gens simples, dans les terres dignoises (Courbons).                                                                                 Une saga familiale autour du dernier né d’une famille de paysans des années 50 à 70.                                                       Amitiés arrosées, amours difficiles, passions, joie, tristesse et humour. (280 pages)

extraits :

Un village paisible

Perché au-dessus de Digne, érigé en sentinelle, le hameau de Courbons qui a compté jadis jusqu’à quatre mille habitants, possède un point commun avec le fameux rocher des « Grimaldi » : Monte-Carlo. En effet, au XVIIIe siècle, le marquis de Courbons et le prince Honoré de Grimaldi jumelèrent leur blason (fuselé d’argent et de gueules) en 1646, en faveur de Jean-Henri de Grimaldi, puis en 1717 en faveur d’Alexandre de Roux.

Le 19 avril 1956, grâce à sa position élevée, les images télévisées de la cérémonie du mariage du prince Rainier III de Monaco avec l’actrice américaine Grace Kelly, ont pu être suivies avec émotion par la population de Courbons et de nombreux Dignois.1

Parce qu’il faut bien localiser un récit, c’est dans ce village pittoresque que j’ai choisi de situer l’histoire totalement romancée qui va suivre.

De nombreux villages ou hameaux, aujourd’hui à l’écart, ont connu autrefois une activité qui permettait de vivre paisiblement « au village ». Ils sont des havres de paix et de tranquillité.Théophile Gautier a bien retransmis, dans son merveilleux poème  Premier sourire de printemps, l’arrivée de cette saison du renouveau, après les rudes journées d’hiver où la nature demeure monochrome.

Il en est ainsi aussi, dans ce petit village de la patrie, adossé à la Bigue et son sommet  le Siron, qui culmine à 1652 m et qui toise la vallée de la Bléone, tout en bas et la montagne du Cousson, symbole du paysage dignois. Sa position à l’adret lui procure un ensoleillement envié et un panorama grandiose.

Une petite route escarpée et sinueuse permet de rejoindre, six kilomètres plus bas, la commune de Digne, à laquelle le village s’est vu rattaché en 1862. Lieu de commerces et de marchés, c’est le « bourg », où l’on se rend pour vendre les produits de la ferme, pour les études des enfants, les achats et les soins. Un sentier raccourcit le trajet à 4,5 kilomètres et l’on peut être à la « ville » en moins d’une heure. Il faut un peu plus pour remonter, les pentes étant par endroits abruptes et difficiles.

Mais, si de nos jours ce trajet est une formalité, il n’en était pas de même dans les années cinquante. L’automobile n’était pas encore très implantée dans les campagnes, il fallait du temps, et l’hiver cela tenait de l’épopée. Se rendre à Aix demeurait un « voyage » que l’on faisait rarement, pour les foires ou marchés au bétail.

La vie était rude, faite de labeur et de plaisirs simples autour du village où bien sûr tous se connaissaient. Tout se savait, tout se disait, le vrai comme le faux : c’était une grande famille où l’on s’entraidait ; on s’aimait, on se détestait, on s’étripait parfois, se réconciliant lors des rares fêtes.

Heureux événement 

Le six juillet 1950, vers huit heures trente, une clameur sort de la chambre des parents :

– Allez vite chercher votre père, je crois que ça y est, le bébé arrive !

Les trois filles sortent en se bousculant et courent à perdre haleine vers le champ où se trouve Gabriel. Mais soudain Jade s’arrête net : 

– Au fait, il est où papa ? On a pas demandé à maman ! Ambre, cours lui demander !

La fillette repart aussi vite et revient tout essoufflée :

– Il est dans les lavandes, allez-y sans moi, j’en peux plus !

– Papa ! Papa ! le bébé est là, il faut venir voir maman !

Gabriel laisse tomber la cisaille et rejoint la maison aussi vite qu’il le peut. Les filles l’ont devancé, elles sont jeunes, elles courent vite.

– Gabriel, vite ! Il faut m’emmener à l’hôpital, j’ai perdu les eaux !

– Si t’as perdu les eaux, c’est trop tard, on a pas le temps, il vaut mieux le faire ici, je vais chez Ernest appeler le toubib.

– Gabriel revient un quart d’heure plus tard, accompagné de Madeleine, la femme de leur voisin, qui eux, sont équipés du téléphone.

– Le toubib est prévenu, il sera là dans une demi-heure, il fait au plus vite.

Madeleine prend les choses en main, elle est habituée. Ce ne serait pas la première fois qu’elle aiderait à mettre au monde un enfant.

– Les filles, apportez-moi des serviettes et de l’eau chaude, au cas où votre maman n’ait pas le temps d’attendre le docteur.

Alice se tord de douleur sous l’effet des contractions et s’agrippe au montant du lit. Elle crie. Madeleine lui pose une serviette chaude sur le front et tente de la calmer :

– Ça va aller, c’est pas le premier que tu fais. Calme-toi, respire bien. Lève tes jambes que je vois un peu où on en est… Bon, c’est pas pour de suite, je vois rien pour le moment.

Gabriel et les trois fillettes attendent à la salle à manger. Reine est inquiète en entendant les cris de sa mère.

– Vous croyez qu’il va sortir le bébé ? Le docteur il va arriver bientôt ? Elle a mal maman ?

– T’inquiète pas, va donc donner à manger aux lapins, ça va aller, tu auras bientôt une petite sœur, dit Gabriel, inquiet malgré tout lui aussi.

Il pousse Ambre et Jade vers la porte :

– Allez avec elle, je vous appellerai quand ce sera fini, restez pas là.

Quand le docteur arrive enfin, une heure plus tard, Alice est trempée et crie de plus belle.

– Ces autos, ça démarre un peu quand ça veut ! Mais c’est quand même bien pratique…  Enfin, je vois que je suis arrivé à temps, c’est le moment.

Les filles pointent leur nez devant la porte moustiquaire de la salle à manger :

– C’est pas encore fini ? Tu crois que ce sera une petite sœur ? demande Reine à son père.

– Ta mère a un moule pour des filles, que veux-tu que ce soit d’autre ?

– Il paraît que le papa est pour quelque chose aussi dans le sexe des bébés, dit Jade.

– Qui t’a mis une idée pareille dans la tête ? grommelle Gabriel.

– On nous l’a dit à l’école.

– Ils feraient mieux de vous apprendre à faire la cuisine, tu sais même pas faire cuire un œuf !

Jade se contente de hausser les épaules.

Soudain, des cris passent au travers de la porte de la chambre, pas ceux d’Alice cette fois, mais du bébé. Tous se précipitent pour voir la maman en se bousculant :

– Laissez-moi passer ! s’exclame Gabriel, c’est moi le père quand même.

Alice a le nouveau-né sur le ventre, il crie à tue-tête.

– Alors docteur, c’est un mâle ou une femelle ?

– La maman va bien, et nous ne sommes pas à l’étable, alors je dirais c’est un garçon.

Gabriel reste coi un instant avant d’aller voir sa femme. Ambre et Jade veulent déjà prendre le bébé, elles ont le sourire jusqu’aux yeux, elles répètent de concert :

– C’est un garçon ! C’est un garçon ! C’est un garçon !

– C’est un petit frère alors ? demande Reine incrédule.

– Oui, c’est un petit frère ! chantent en chœur les deux autres.

– Poussez-vous ! crie Gabriel, laissez respirer votre mère, et laissez-moi voir cet enfant.

Il retire la couverture dans laquelle est enveloppé le bambin et reste un moment à regarder le petit sexe déjà bien droit.

– Pas de doute, c’est bien un garçon. Ça alors !.. Tu vois, on a bien fait d’insister, on l’a notre mâle, dit-il en regardant enfin son épouse.

Il s’approche et l’embrasse timidement.

– Tu voulais pas que je le garde ! Et pour insister tu as insisté. Maintenant c’est bon, ce sera le dernier. Et c’était pas la peine de regarder son zizi, puisque le docteur t’a dit que c’était un garçon !

– Vu la façon dont il crie, j’étais pas sûr.

Gabriel est tout de même ému, une larme se pointe au coin de son œil, jusqu’à ce qu’elle glisse le long de sa joue. Il se retourne pour ne pas le montrer. Alice se met alors à pleurer et les trois filles se joignent à elle. Le médecin et Madeleine se retirent sur la pointe des pieds, laissant la famille à son bonheur. Ils savent quoi faire, c’est le quatrième enfant qui entre dans cette maison.

– Ce Gabriel, toujours aussi rustre, lâche le médecin.

– Ça n’empêche pas que c’est un brave homme, répond simplement Madeleine.

Passé le moment d’émotion intense, Gabriel prend son fils dans les bras.

– Fais attention ! dit Alice, il est fragile, tiens bien sa tête.

– Comme si j’avais pas l’habitude ! récrimine ce dernier.

– Tu n’as jamais pris tes filles dans les bras à peine sorties de mon ventre.

– J’avais peur de les casser, les filles c’est plus fragile.

Les trois filles et la maman se regardent, mais préfèrent ne pas répondre, ce n’est pas le moment.

– Il est beau, vous trouvez pas ? Il me ressemble, non ?

– Il ressemble à nous tous, répond Alice, il est de notre famille, c’est un Aluni.

– Comment on va l’appeler ? demande Reine.

– C’est vrai ça ! s’inquiète Gabriel, on pensait pas que ce serait un garçon, on avait choisi un prénom de fille.

– Oui, Belle, dit Alice pensive.

– On a qu’à l’appeler James, préconise Jade, c’est joli non ?

– Un prénom anglais ? dit Gabriel, en soupirant et en soulevant les épaules.

– Moi je préférerais Sacha, déclare Reine.

– Russe, maintenant ! Y’a pas assez de prénoms français ?

– Non, Jésus, propose Ambre, en croisant les bras, prête à faire un caprice.

– Un nom d’église maintenant ! Qu’est-ce que vous avez dans la tête ? s’insurge Gabriel… Je verrais bien Joseph, c’était le nom de mon père.

– C’est le nom du père de Jésus, affirme Ambre en frappant dans ses mains.

Gabriel secoue la tête de dépit :

– Oublie un peu la Bible s’il te plaît !

– Arrêtez de vous disputer, dit Alice, vous allez réveiller Beau, car c’est ainsi qu’il s’appellera, regardez-le, ça lui ira bien.

– Ouiiii ! s’exclament en chœur les trois sœurs.

– Ouais, pourquoi pas, marmonne Gabriel peu convaincu. C’est pas trop un prénom, je sais pas si à la mairie on va l’accepter, c’est pas sur le calendrier. Enfin si ça vous plaît… Bon, c’est pas tout ça les filles, mais c’est vous qui allez préparer le repas, laissez reposer votre mère, et Beau.

– On a l’habitude, on aide souvent maman.

– Entre donner un coup de main et préparer un repas il y a une différence. J’espère que vous avez retenu les leçons, j’ai faim, très faim !

Publié par

serge Panis

Serpan, écrit et photographie pour le plaisir et pour celui de ceux qui le lisent.